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CEDH : condamnation de la France pour manquement à ses obligations d’accueil et d’hébergement de demandeurs d’asile

Public - Droit public général
06/07/2020
Les autorités françaises ont manqué à leurs obligations d’accueil à l’encontre de demandeurs d’asile prévues par le ceseda et doivent être tenues pour responsables des conditions particulièrement précaires dans lesquelles ils se sont retrouvés.
En 2013, deux ressortissants russes (K.T et S.G) et un ressortissant géorgien (G.I) arrivés en France en qualité de jeunes majeurs ont déposé des demandes d’asile auprès de la préfecture du Languedoc Roussillon. Un ressortissant afghan (N.H), arrivé en France à l’âge de 20 ans en 2013 et un ressortissant iranien (A.J) de 40 ans, journaliste, arrivé en 2014, présentèrent également une demande d’asile auprès de la préfecture de police de Paris.
 
G.I, ressortissant géorgien n’étant pas resté en contact avec son avocat et celui-ci n’ayant aucun moyen de le contacter, son affaire a été rayée du rôle.
 
Les requérants saisissent la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une violation de l’article 3 de la Convention car ils considèrent que la France a manqué à ses obligations d’accueil en matière d’asile et qu’ils n’ont pu bénéficier de conditions matérielles d’accueil, et notamment d’un logement ou de l’ATA (allocation temporaire d’accueil). Ils font grief à l’État français d’avoir dû dormir pendant plusieurs mois dans la rue, dans des conditions inhumaines et dégradantes. A.J et N.H soulignent que les juridictions françaises, « de façon systématique », rejettent les demandes des primo-demandeurs d’asile dès lors qu’ils ne disposent pas d’une APS (autorisation provisoire de séjour) au titre de l’asile, ce qui les excluent automatiquement du dispositif d’accueil.
 
La Cour rappelle qu’au niveau de l’Union européenne, c’est la Directive n° 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres dite « Directive accueil » qui régit l’asile. Et les États membres appliquent souverainement cette Directive dans leur réglementation nationale.
 
Les requérants font notamment valoir que les autorités comme les juridictions françaises, contrairement à la Cour européenne, ne considèrent apparemment pas les demandeurs d’asile comme un groupe vulnérable qui a besoin d’une protection. Et le Défenseur des droits souligne que le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile souffre de certains écueils notamment en termes de délai. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ceseda), dans ses dispositions applicables au moment du litige, prévoyait un délai de 15 jours pour la délivrance de l’APS, mais dans les faits, ce délai est de 3 à 5 mois selon les régions, souligne le Défenseur des droits.
 
En outre, le « Défenseur des droits indique, que depuis une ordonnance du 10 mai 2012, le Conseil d’État juge de façon constante, qu’en cas d’afflux massif de demandeurs d’asile et au regard des moyens limités dont disposent les autorités, le délai de trois mois pour enregistrer la demande est raisonnable et, qu’en conséquence, il n’y a pas d’atteinte au droit d’asile ».
 
Afin d’apprécier les faits, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle les principes qu’elle a dégagés notamment à travers la jurisprudence M.S.S c. Belgique et Grèce (CEDH, 21 janv. 2011, req. n° 30696/09).
 
Le contrôle de l’entrée, du séjour et l’expulsion d’étrangers relèvent de la compétence souveraine des États et le droit d’asile politique n’est pas consacré par la Convention ou ses protocoles, précise la Cour.
 
La Haute juridiction européenne avait souligné dans l’affaire M.S.S c. Belgique et Grèce que « le caractère absolu de l’article 3, ne saurait exonérer un État de ses obligations au regard de cette disposition » et par conséquent, il ne pourrait invoquer « un afflux croissant de migrants » pour se dégager de ses obligations. En l’espèce, la Cour souligne que l’obligation d’assurer un hébergement ou des conditions matérielles décentes aux demandeurs d’asile est tirée des dispositions de la « Directive accueil », transposées dans le ceseda.
 
Dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce, la Cour avait jugé qu’il y avait eu violation de l’article 3 en raison de la gravité de la situation de dénuement dans laquelle s’était retrouvé un demandeur d’asile demeuré « plusieurs mois dans l’incapacité à répondre à ses besoins les plus élémentaires, entendus comme se nourrir, se laver et se loger, dans l’angoisse permanente d’être attaqué et volé, dans l’absence totale de perspective de voir sa situation s’améliorer » combiné à l’inertie des autorités compétentes. Elle considère donc que les demandeurs d’asile sont des personnes vulnérables par leurs parcours et leurs expériences migratoires.
 
Afin de répondre à la requête, la Cour souligne que son rôle consiste à déterminer, non pas si la réglementation en matière d’asile est correctement appliquée par les juridictions nationales mais à mesurer si les effets de leurs décisions sont compatibles avec la Convention. En l’espèce, la Cour relève que les requérants qui se trouvaient en situation de dénuement, dépendaient des autorités nationales pour subvenir à leurs besoins élémentaires tant qu’ils étaient autorisés à rester sur le territoire en qualité de demandeurs d’asile.

La Cour procède alors à une analyse factuelle de la situation individuelle des requérants sur le territoire :
- la demande d’admission au séjour au titre de l’asile qui doit prendre normalement 15 jours en application de l’article R. 742-1 du ceseda, à l’époque des faits, dans la pratique, ce délai était en moyenne de 3 à 5 mois selon les préfectures ;
- 95 jours se sont écoulés pour N.H et 131 jours pour K.T avant l’enregistrement de leur demande d’asile ;
- A.J a obtenu une autorisation provisoire de séjour au titre de l’asile 90 jours après avoir sollicité l’asile auprès des services de la préfecture.
Si la Cour européenne ne se prononce pas sur ces délais, il lui appartient en revanche de relever les effets qu’ils ont eus sur les requérants et si le seuil de gravité de l’article 3 a été atteint.
 
Dépourvus de tout statut avant l’enregistrement de leur demande d’asile, les requérants ne pouvaient percevoir l’ATA puisqu’ils ne disposaient d’aucun document faisant état de leur situation administrative. Cet état de fait n’est pas contesté par le Gouvernement défendeur qui reconnait la situation de précarité dans laquelle se sont retrouvés les requérants, contraints de dormir dans la rue sous les ponts à Paris, soit sur les berges d’une rivière (l’Aude) dans une tente prêtée par des particuliers.
 
Là encore, la Cour s’appuie sur les faits : N.H : a vécu sous les ponts du canal Saint‑Martin dans une situation d’extrême précarité pendant 262 jours et il est resté 133 jours sans ressources. S.G et K.T ont vécu au minimum neuf mois sur les berges de l’Aude, chacun dans une tente individuelle prêtée par des particuliers. K.T est resté 185 jours sans ressources. S.G. a perçu l’ATA 63 jours après sa première présentation en préfecture.
 
La Cour constate que N.H. a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire 229 jours après son arrivée en France, que 188 jours se sont écoulés entre la première convocation à la préfecture de police d’A.J. et la reconnaissance de son statut de réfugié.
 
En conséquence, au regard de tous ces éléments factuels, la condamnation de la Haute juridiction suprême européenne est inéluctable :
La « Cour constate que les autorités françaises ont manqué à l’encontre des requérants à leurs obligations prévues par le droit interne » et « considère qu’elles doivent être tenues pour responsables des conditions dans lesquelles ils se sont trouvés pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires, ne disposant d’aucun moyen de subvenir à leurs besoins essentiels et dans l’angoisse permanente d’être attaqués et volés ». « La Cour estime que les requérants ont été victimes d’un traitement dégradant témoignant d’un manque de respect pour leur dignité et que cette situation a, sans aucun doute, suscité chez eux des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à conduire au désespoir. Elle considère que de telles conditions d’existence, combinées avec l’absence de réponse adéquate des autorités françaises qu’ils ont alertées à maintes reprises sur leur impossibilité de jouir en pratique de leurs droits et donc de pourvoir à leurs besoins essentiels, et le fait que les juridictions internes leur ont systématiquement opposé le manque de moyens dont disposaient les instances compétentes au regard de leurs conditions de jeunes majeurs isolés, en bonne santé et sans charge de famille, ont atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention ».
 
Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne N.H, A.J et K.T. En revanche, il n’en est pas de même pour S.G qui a obtenu un récépissé constatant le dépôt de sa demande d’asile 28 jours après son premier rendez‑vous à la préfecture et même s’il a vécu sous une tente, il a perçu l’ATA 63 jours après sa première présentation à la préfecture, relève la Cour.
 
Source : Actualités du droit