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Archives présidentielles sur le Rwanda : un chercheur autorisé à les consulter avant la date fixée

Public - Droit public général
17/06/2020
Dans un arrêt rendu le 12 juin 2020, le Conseil d’État, réuni en Assemblée du contentieux, autorise un chercheur à consulter avant la date fixée par le protocole les archives du Président Mitterrand sur le Rwanda après mise en balance des intérêts du requérant et du grand public avec ceux de l’État.
Un chercheur, auteur de deux ouvrages consacrés au rôle de la France au Rwanda pendant les événements liés au génocide perpétré en 1994, a présenté, à la suite de leur déclassification, auprès du ministre de la Culture des demandes de consultation de certaines des archives du Président François Mitterrand relatives à la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1995. Le ministre de la Culture a autorisé l’accès à certains des documents et a rejeté le surplus de ses demandes de consultation. Le requérant a saisi le tribunal administratif sans succès.
 
 
Un droit d’accès aux documents d’archives publiques
 
La Haute juridiction rappelle, au préalable, les termes de l’article L. 213-4 du code du patrimoine dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 «  Le versement des documents d'archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature entre la partie versante et l'administration des archives d'un protocole relatif aux conditions de traitement, de conservation, de valorisation ou de communication du fonds versé, pendant la durée des délais prévus à l'article L. 213-2. (…) Les documents d’archives publiques versés antérieurement à la publication de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives demeurent régis par les protocoles alors signés. Toutefois, les clauses de ces protocoles relatives au mandataire désigné par l'autorité signataire cessent d'être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire ».

Ces dispositions régissent les protocoles de remise des archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement signés antérieurement et postérieurement à la publication de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008. Pour le Conseil d’État, en adoptant ces dispositions, le législateur a « entendu ainsi que l’a jugé le conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2017-655 QPC du 15 septembre 2017, favoriser la conservation et le versement de ces documents en leur accordant une protection particulière ». Il précise également que ces dispositions doivent être interprétées conformément à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui garantit le droit d’accès aux documents d’archives publiques et appliquées « à la lumière des exigences attachées au respect de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif à la liberté d’expression duquel peut résulter, à certaines conditions, un droit d’accès à des informations détenues par l’État ».

Il en déduit que l’autorisation de consultation anticipée des documents doit être accordée aux personnes qui en font la demande lorsque l’intérêt qui s’attache à leur consultation ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi comme le secret des délibérations du pouvoir exécutif ou la conduite des relations extérieures et les intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure.
 
Un entier contrôle sur la proportionnalité du refus

En outre, la Haute juridiction rappelle l’office du juge de l’excès de pouvoir. Il lui appartient de contrôler la régularité et le bien-fondé de la décision de refus de consultation anticipée mais surtout d’exercer « un entier contrôle sur l’appréciation portée sur la proportionnalité de la limitation qu’apporte à l’exercice du droit d’accès aux documents d’archives publiques le refus opposé à une demande de consultation anticipée, par dérogation au délai fixé par le protocole ». Le juge doit se placer à la date à laquelle il statue.

Or, le Conseil d’État relève que le tribunal s’est contenté de rechercher si les décisions contestées étaient entachées d’erreur manifeste d’appréciation alors qu’il lui appartenait d’exercer un entier contrôle sur la proportionnalité du refus. Les jugements sont, ainsi, annulés pour erreur de droit.

Une mise en balance des intérêts en présence

En l’espèce, les archives présidentielles dont la consultation a été demandée sont couvertes par un protocole prévoyant une ouverture au public 60 ans après sa signature soit jusqu’en 2055. Afin de statuer sur les demandes de consultation anticipée, il appartenait au mandataire désigné par le signataire de mettre en balance l’intérêt légitime du demandeur et les intérêts protégés par la loi.

S’agissant de l’intérêt légitime du demandeur, la Haute cour précise « qu’il doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent ». Au cas particulier, les demandes de consultation anticipée des archives présidentielles présentées par le requérant sont liées à de nouveaux travaux de recherches engagés dans le cadre de la préparation d’un ouvrage consacré à la politique africaine du président Mitterrand. Elles présentent un intérêt légitime « au regard de la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées pour nourrir les recherches historiques et le débat sur une question d’intérêt public ».

Par ailleurs, les archives dont la consultation a été demandée, sont constituées de notes rédigées par les conseillers du Président et des comptes-rendus de réunions du Gouvernement, documents peu ou pas classifiés. Même si leur consultation aurait pour effet de révéler des informations relevant du secret des délibérations du pouvoir exécutif et touchant à la conduite des relations extérieures, ils ne comportent pas d’élément de nature à compromettre les intérêts fondamentaux de l’État ou la sécurité des personnes. Au surplus, une consultation anticipée de ces documents a déjà été autorisée à plusieurs reprises. Certaines informations contenues dans ces documents ont notamment été rendues publiques par un rapport d’information de l’Assemblée nationale. Dans ces conditions, l’intérêt légitime du requérant justifie l’accès aux archives litigieuses, accès ne constituant pas une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi.

Les refus opposés au requérant sont, ainsi, entachés d’illégalité.
 
Source : Actualités du droit