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Bail à usage professionnel et bail emphytéotique

Afrique - Ohada
05/02/2018
La fixation par les parties de la durée du contrat à 28 ans renouvelable ne peut soustraire le bail aux dispositions de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général (AUDCG) dès lors qu’il est manifeste que le bail a été consenti pour les activités commerciales du preneur. L’analyse du professeur Bréhima KAMÉNA, agrégé des facultés de droit, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), Directeur du groupe de recherches appliquées antenne Lascaux (GRAAL).
Dans cette affaire, la requérante faisait grief à l’arrêt confirmatif de la cour d’appel du centre à Yaoundé d’avoir violé les dispositions des articles 10 du Traité de l’OHADA et 103 de l’AUDCG en qualifiant de bail emphytéotique et en l’annulant le contrat de bail à usage professionnel sur le fondement de la loi n° 80/22 du 14 juillet 1980 portant répression des atteintes à la propriété foncière alors que, selon le moyen, le litige portant sur la nullité d’un bail à usage professionnel, la cour devait se limiter à la vérification de la régularité des conditions de formation de ce contrat à l’aune de l’article 103 précité. Il s’agissait d’un bail dont la durée avait été fixée par les parties à 28 ans renouvelable.
 
Cette affaire soulève le problème juridique suivant : la fixation par les parties de la durée du contrat à 28 ans renouvelable soustrait-elle le bail aux dispositions de l’AUDCG au profit des textes nationaux relatifs au bail emphytéotique ?
 
La CCJA casse l’arrêt de la cour d’appel du centre en ces termes : la fixation par les parties de la durée du contrat à 28 ans renouvelable ne peut soustraire le bail aux dispositions de l’AUDCG dès lors qu’il est manifeste que le bail a été consenti pour les activités commerciales du preneur.
 
La CCJA fonde sa décision sur les dispositions des articles 103 et 104, alinéa 1er, de l’AUDCG. Aux termes du premier article, « est réputé bail à usage professionnel toute convention, écrite ou non, entre une personne investie par la loi ou une convention du droit de donner en location tout ou partie d’un immeuble compris dans le champ d’application du présent titre, et une autre personne physique ou morale, permettant à celle-ci, le preneur, d’exercer dans les lieux avec l’accord de celle-là, le bailleur, une activité commerciale, industrielle, artisanale ou toute autre activité professionnelle. ». Quant au second article, il dispose que « les parties fixent librement la durée du bail ».
 
La CCJA se livre à un raisonnement à deux étapes. Tout d’abord, elle montre que la fixation de la durée du contrat à 28 ans ne soustrait pas celui-ci au champ du bail à usage professionnel. En effet, l’article 104 n’ayant pas fixé de limitation à la durée du bail, il en résulte que la fixation de celle-ci à 28 ans ne suffit pas soustraire le contrat litigieux des dispositions de l’AUDCG relatives au bail à usage professionnel. Ce raisonnement emporte entièrement la conviction.
 
Ensuite, pour qualifier le contrat litigieux de bail à usage professionnel, la Haute juridiction vérifie si les conditions prévues à l’article 103 sont réunies. Si l’on s’en tient aux faits, la condition relative à la destination de l’immeuble est remplie puisque le bail a été consenti pour les activités commerciales du preneur. Cependant, c’est en recourant à la théorie du mandat apparent que la CCJA conclut que le bailleur, un cohéritier, est investi du droit de donner en location l’immeuble litigieux.
 
La théorie de l’apparence, adoptée par la jurisprudence et appliquée principalement en matière de mandat (CCJA, 2e ch., 27 juill. 2017, n° 185/2017, Sté Djoliba C/ Sté Cosed, L’Essentiel Droits africains des affaires, n° 1, 2018, p. 3, obs. Kaména B. ; v. en France : Cass. ass. plén., 13 déc. 1962, n° 57-11.567, JCP G, 1963, II, n° 13605), vise à assurer la sécurité des transactions et la protection des tiers de bonne foi, trompés par une apparence (v. spéc. Rabagny A., Théorie générale de l'apparence en droit privé, thèse, Frison-Roche M.-A. (dir.), 2004, ANRT, http://www.sudoc.abes.fr//DB=2.1/SET=1/TTL=2/SHW?FRST=1). Le mandat apparent a pour effet d’obliger le mandant, même en l'absence d'une faute susceptible de lui être reprochée, à exécuter les engagements pris envers les tiers par le mandataire apparent. La jurisprudence précitée exige généralement la réunion de trois conditions : une compétence apparente de la représentation du mandataire ; cette apparence doit être le fait du mandant ; le tiers doit être de bonne foi (il ne doit pas avoir connu la réalité).
 
Il ressort des éléments du dossier que le bail avait été concédé à la requérante par un co-indivisaire ayant déjà accompli des actes de même nature sur ledit immeuble à l’égard d’autres preneurs, sans aucune remise en cause de son mandat. Ce comportement avait pu conduire des tiers, spécialement la requérante, à croire raisonnablement de bonne foi qu’il agissait pour le compte de l’indivision.
 
Dès lors, les éléments caractéristiques du bail à usage professionnel étaient réunis. Sur ce point, l’arrêt commenté emporte également la conviction. Cependant, il ne tranche pas la question de la distinction entre le bail à usage professionnel et le bail emphytéotique, ce dernier ne relevant pas du droit OHADA, mais du droit national. En outre, lorsque les conditions de formation du bail sont remplies, les dispositions de l’AUDCG, ayant un caractère supranational, l’emportent sur les dispositions nationales contraires, spécialement celles relatives au bail emphytéotique.
Source : Actualités du droit