Bail à usage professionnel et compétence du juge des référés : une solution mitigée de la CCJA

Afrique - Ohada
28/10/2019
Le juge des référés est compétent pour ordonner l’arrêt des travaux sur les lieux querellés, mais, en raison de l’existence d’une sérieuse contestation liée à la propriété indivise du bien en cause, il ne l’est pas pour ordonner en outre l’expulsion du preneur. Le point avec Bréhima Kaména, maître de conférences agrégé à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (Mali).
Dans cette affaire, un administrateur d’une société immobilière donne à bail à usage professionnel à un preneur un immeuble sis à Tsinga (Yaoundé II).  Celui-ci y entreprend des travaux de réfection utiles à l’exploitation de son fonds de commerce. Toutefois, les deux autres administrateurs de ladite société immobilière prétendent que le contrat a été conclu sans leur consentement. C’est ainsi qu’après de vaines tentatives de conciliation, ils saisissent le juge des référés du tribunal de première instance de Yaoundé.

Celui-ci, par ordonnance n° 606 /C du 1er décembre 2009, décide l’arrêt des travaux entrepris par le preneur et son expulsion des lieux querellés. Sur appel du coadministrateur signataire du bail et du preneur, la cour d’appel du Centre rend le 12 aout 2011 l’arrêt confirmatif n° 423/CIV. Le requérant reproche à cet arrêt d’avoir ordonné l’arrêt des travaux et son expulsion, au motif qu’il avait engagé lesdits travaux sans aucun contrat ni autre titre, et que c’est en cours de procédure qu’il avait produit « un contrat de bail nouvellement confectionné ». Or, selon lui, au sens de l’article 71 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général (AUDCG) du 17 avril 1997, le bail commercial peut être écrit ou verbal. 

L’arrêt n° 037/2019 du 31 janvier 2019 soulève, au-delà de la question relative à la forme du bail, le problème juridique suivant : quelle est la compétence du juge des référés en matière de bail professionnel ?

Au visa de de l’article 71 de l’AUDCG du 17 avril 1997, la CCJA casse l’arrêt attaqué en ces termes : « le bail commercial peut être conclu par écrit ou verbalement ». Évoquant, elle infirme partiellement l’ordonnance précitée n° 606 /C du 1er décembre 2009. Pour y parvenir, elle se réfère, d’abord, à l’article 185 du Code de procédure civile et commerciale (CPCC,  art. 185) du Cameroun. Celui-ci dispose que « les ordonnances de référé ne feront aucun préjudice au principal ». Elle ajoute, ensuite, que, selon la jurisprudence établie, « le juge des référés a interdiction d’aller au-delà de l’évidence » et qu’ « en principe, toute sérieuse contestation mise en exergue est un obstacle à l’exercice de son pouvoir ». Elle en conclut, enfin, que le juge des référés est compétent pour ordonner l’arrêt des travaux sur les lieux querellés, mais, qu’en raison de l’existence d’une sérieuse contestation liée à la propriété indivise du bien en cause, il ne l’est pas pour ordonner, en outre, l’expulsion du preneur.

L’arrêt commenté comporte une incohérence. En effet, lorsque la CCJA casse l’arrêt attaqué au motif que « le bail commercial peut être conclu par écrit ou verbalement », l’on a l’impression qu’elle reconnaît la validité du bail litigieux. Cependant, il n’en est rien. En évoquant, elle constate « l’existence d’une sérieuse contestation liée à la propriété indivise du bien en cause ».
Par ailleurs, sur la compétence du juge des référés, la solution est mitigée.

Sur l’expulsion du preneur, l’arrêt commenté confirme la jurisprudence antérieure (CCJA, 1re ch., 29 mars 2018, n° 066/2018). La solution emporte la conviction lorsque l’on admet, a contrario, que lorsqu’il n’existe pas de contestation sérieuse, la compétence du juge des référés est acquise (v. en ce sens Kaména B., obs. sous CCJA, 3e  ch., 14 déc. 2017, n° 235/2017, C.-T. T. c/ S. T. M. et a.).

Dans un arrêt du 25 février 2016 rendu sous l’empire de l’AUDCG du 15 décembre 2010 (la mise en demeure datait du 22 décembre 2011 et l’ordonnance du juge des référés expulsion du tribunal de première instance datait du 13 mars 2012), la CCJA, évoquant, a confirmé l’ordonnance du juge des référés expulsion prononçant l’expulsion d’un preneur (CCJA, 3e ch., 25 févr. 2016, n° 023/2016).

En revanche, s’agissant de l’arrêt des travaux en présence d’une contestation sérieuse, question sur laquelle la CCJA se prononce pour la première fois, à notre connaissance, l’arrêt commenté suscite des réserves. En effet, dans le cas où il existe une contestation sérieuse, le juge des référés n’est compétent qu’en cas d’urgence, de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite comme le prévoient des textes nationaux. À titre illustratif, au Cameroun, l’article 182 du CPCC prévoit que « dans tous les cas d'urgence, ou lorsqu'il s'agira de statuer provisoirement sur les difficultés relatives à l'exécution d'un titre exécutoire ou d'un jugement », il sera procédé par référé. Au Mali, par exemple, l’article 491 du Code de procédure civile, commerciale et sociale (CPCCS,  art. 491) dispose que « le président peut toujours même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». Or, pour motiver l’arrêt des travaux, la CCJA ne se réfère à aucune des conditions précitées du référé. Elle manque ainsi une bonne occasion de consacrer celles-ci au niveau de l’OHADA.
Source : Actualités du droit