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Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice : «Cette réforme est absolument nécessaire pour des raisons de sécurité juridique»

Civil - Responsabilité
01/06/2016
La consultation publique sur le texte portant le projet de réforme de la responsabilité civile est en cours jusqu’au 29 juillet 2016. Une réforme absolument nécessaire, selon le garde des Sceaux. Interview...
Revue Lamy Droit civil : Vous venez de lancer une consultation publique sur un avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Pouvez-vous nous préciser les enjeux de cette réforme ?
 
Jean-Jacques Urvoas : Ce texte a pour objectif premier de rétablir le code civil dans son rôle de cadre exhaustif du droit commun de la responsabilité civile. En effet, le droit de la responsabilité civile extracontractuelle est actuellement composé de cinq articles datant de 1804 (outre les articles 1386-1 et suivants relatifs aux produits défectueux), sur lesquels la Cour de cassation a construit une jurisprudence riche et complexe pour répondre à l’évolution de la société et aux nouvelles problématiques de responsabilité qu’elle a fait naître. Cette réforme est donc absolument nécessaire pour des raisons de sécurité juridique et de respect du principe constitutionnel d’accessibilité et de prévisibilité de la loi.
 
En outre, elle doit venir parachever la réforme du droit des contrats et des obligations issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, en élaborant un véritable régime de responsabilité contractuelle, ce qui ne peut être réalisé avec cohérence que dans le cadre d’un projet de réforme globale de la responsabilité civile qui fixe les règles communes et propres aux responsabilités contractuelle et extracontractuelle, et qui organise l’articulation complexe entre ces deux régimes.
 
Enfin, au-delà d’une nécessité technique, ce projet de réforme procède également de choix politiques, et l’un des principaux objectifs poursuivis par la Chancellerie est l’amélioration de l’indemnisation des victimes de dommages corporels, dans notre société moderne dont l’une des caractéristiques est d’engendrer de plus en plus de graves dommages de cette nature.
 
RLDC : Quelles sont les innovations prévues ?
 
J.-J. U. : Comme je le rappelais, les textes actuels datent de 1804. Ils ne reflètent plus en conséquence les problématiques de notre société moderne. L’avant-projet soumis à la consultation se propose donc d’y remédier, en créant des mécanismes nouveaux.
 
Ainsi en est-il de l’introduction de l’amende civile dans le droit commun de la responsabilité, destinée à être prononcée lorsque le responsable aura délibérément commis une faute lourde, sans nécessairement rechercher le dommage, mais en sachant que l’indemnisation lui coûtera considérablement moins que les gains ou l’économie réalisée grâce à la faute commise.
 
Toujours dans un souci de justice sociale et de moralisation des relations sociales, l’avant-projet propose également d’introduire l’obligation pour la victime de minimiser son dommage, mécanisme connu outre-manche sous l’expression de « mitigation » du dommage.
 
Enfin, l’avant-projet prévoit un ensemble complet et cohérent de règles propres à la réparation du dommage corporel, afin d’en améliorer l’indemnisation.
 
 
RLDC : L’avant-projet de loi propose la création, en droit français, d’une amende civile. Ce concept est-il préférable aux dommages et intérêts restitutoires ou punitifs, pour lesquels ont opté de nombreux droits étrangers ?
 
J.-J. U. : Les dommages et intérêts punitifs sont étrangers à la tradition juridique française, qui se fonde sur le principe de réparation intégrale du préjudice. En effet, notre droit de la responsabilité civile s’est toujours vu attribuer la fonction de réparation des préjudices, tandis que celle de prévention et de répression des comportements dommageables relève traditionnellement du seul droit pénal.
 
Je souhaite donc doter le droit de la responsabilité civile français d’une fonction préventive et de sanction des comportements, qui, sans nécessairement être pénalement incriminés, sont socialement inacceptables. Je pense notamment à la commission délibérée de fautes lucratives, c’est-à-dire aux seules fins de réaliser des gains ou des économies bien supérieurs à l’indemnisation du dommage causé.
 
Pour autant, il nous semble que cette fonction préventive et sanctionnatrice peut être assurée en respectant le principe de réparation intégrale du dommage, et sans que l’application du dispositif proposé ne soit suspecté d’être utilisé à des fins lucratives par la victime.
 
C’est pour cette raison que le projet propose d’instaurer une amende civile, dont l’évaluation serait indépendante des dommages et intérêts de la victime, mais fonction de la gravité de la faute commise, des ressources de son auteur, et du profit ou du gain qu’il en a retiré. Surtout, cette amende serait reversée à l’État et non à la victime, et pourrait utilisée pour alimenter des fonds d’indemnisation par exemple.

Propos recueillis par Gaëlle Marraud des Grottes
 
 
Pour consulter l’intégralité de cet entretien, lire la Revue Lamy Droit civil de juin 2016 (RLDC 2016/138, n° 6211)
 
 
 
Source : Actualités du droit