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Injonction de payer : sort d’un exploit signifié à parquet en méconnaissance d’une clause d’élection de domicile

Afrique - Droits nationaux
20/01/2020
L’exploit par lequel une ordonnance est signifiée à parquet en méconnaissance d’une clause d’élection de domicile est nul et de nul effet s’il ne résulte de ses mentions que l'huissier instrumentaire a vainement tenté la signification au domicile élu ou à la personne d'un représentant.
Dans cette affaire, une société, au soutien de son opposition à une ordonnance d’injonction de payer, invoquait la nullité de l’exploit par lequel cette ordonnance avait été signifiée à parquet au tribunal de commerce d’Abidjan. Selon elle, aussi bien dans un protocole d’accord que dans une convention de gages d’espèces, les parties avaient élu domicile à leur siège respectif, à savoir à Lomé pour elle. Pour rejeter cette prétention, le tribunal de commerce d’Abidjan décida que l’élection de domicile faite par les parties dans leurs conventions « reste somme toute dans le domaine contractuel, et ne peut former obstacle à l’application des dispositions légales en matière de signification des actes de procédure, et encore moins prévaloir sur elles, au point d’entacher d’irrégularité l’acte signifié conformément aux dispositions légales en la matière ». 

L’arrêt n° 143/2019 du 9 mai 2019 soulève le problème juridique suivant : quel est le sort de l’exploit d’injonction de payer signifié à parquet en méconnaissance d’une clause d’élection de domicile ?

La CCJA, sur évocation, infirme le jugement querellé en deux temps. Dans un premier temps, elle énonce : « attendu qu’en se déterminant par ces motifs, alors qu’il n’est pas discuté que dans leurs conventions les parties ont régulièrement élu domicile au lieu de leur siège social respectif, que l’exploit argué de nullité a été servi « à parquet » au Tribunal de commerce d’Abidjan, et qu'il ne résulte des mentions de l’exploit aucune diligence de l'huissier instrumentaire dont il serait résulté que celui-ci ait vainement tenté la signification de l’ordonnance au domicile élu par [le débiteur] ou à la personne de l'un de ses représentants, le tribunal a méconnu la force obligatoire desdites conventions ; qu’il échet d’infirmer le jugement et de déclarer l’exploit nul et de nul effet ». Ensuite, après avoir rappelé l’article 7 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE), elle décide qu’en application de ce texte, il échet de déclarer l’ordonnance « non avenue » et de déclarer par suite « l’opposition fondée ».

C’est la première fois, à notre connaissance, que la Haute juridiction se prononce sur ces questions. 
Il résulte de l’arrêt commenté, la validité de principe de la clause d’élection de domicile en matière d’injonction de payer. Cette solution emporte la conviction. En effet, aucune disposition légale applicable en la matière, spécialement celle de l’article 7 de l’AUPSRVE, n’interdit l’élection de domicile. Aux termes de l’article 7, « Une copie certifiée conforme de l’expédition de la requête et de la décision d’injonction de payer délivrée conformément aux dispositions de l’article précédent est signifiée à l’initiative du créancier à chacun des débiteurs par acte extra-judiciaire. La décision portant injonction de payer est non avenue si elle n’a pas été signifiée dans les trois mois de sa date. ».

En revanche, sur le sort de l’exploit, la solution de la CCJA suscite quelques réserves. Une des particularités de cette affaire est que l’opposant avait élu domicile à l’étranger, précisément à son siège à Lomé. L’AUPSRVE ne prévoyant pas les modalités de signification d’un acte extra-judiciaire à l’étranger, il convient alors, dans ce silence, d’appliquer les textes nationaux. A cet égard, l’article 254 du Code de procédure civile ivoirien dispose que « Si la personne visée par l'exploit habite à l'étranger, l'huissier de Justice remet une copie de l'exploit au parquet du domicile du demandeur, en la personne du Procureur de la République ou de son substitut, lequel vise l'original et en envoie la copie au ministère des Affaires étrangères aux fins de remise au destinataire par la voie diplomatique, sauf dérogations prévues par les conventions en matière d’entraide judiciaire. ». Or, il résulte des pièces du dossier que l’huissier instrumentaire avait suivi cette procédure. Dès lors, son exploit en soi ne souffre d’aucun vice et n’est donc pas nul.

Cependant, l’ordonnance n’est considérée comme signifiée que si le Procureur de la République ou son substitut met en œuvre la procédure prévue à l’article 254 précité. Toutefois, celle-ci ne remet pas en cause l’application du délai de trois mois prévu par l’article 7 de l’AUPSRVE. Or, il ressort, en outre, des pièces du dossier que l’opposant n’a pas reçu dans ce délai l’ordonnance litigieuse d’injonction de payer. Dès lors, l’exploit devient caduc. En outre, comme l’a décidé la CCJA, il convient de déclarer l’ordonnance « non avenue » et « par suite l’opposition fondée ».
Rendu à propos d’une injonction de payer, l’arrêt commenté a, cependant, une portée plus large. En effet, il consacre la force obligatoire de la clause d’élection de domicile dans toutes les procédures simplifiées de recouvrement de créance et des voies d’exception, sauf disposition expresse contraire (V. également N. C. M. Ndiaye, La force obligatoire de la volonté en matière de signification des actes de procédure, obs. sous CCJA, 2e ch., 9 mai 2019, n°143/2019, LEDAF, nov. 2019, n° 112p2, p. 2).
Source : Actualités du droit