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L’exequatur des sentences arbitrales étrangères dans l'espace OHADA

Afrique - Ohada
15/01/2018
La sentence arbitrale dont l’exequatur était demandé au juge ayant été rendue sur le fondement des règles autres que celles prévues par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, la France comme le Cameroun étant liés par la convention des Nations Unies pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, c’est cette convention qui est applicable à cette procédure d’exequatur. Les explications du professeur Bréhima KAMÉNA, agrégé des facultés de droit, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), Directeur du Groupe de recherches appliquées antenne Lascaux (GRAAL).
Dans cette affaire, la requérante faisait grief à l’ordonnance n° 74 rendue le 9 avril 2013 par le juge du contentieux de l’exécution du tribunal de première instance de Douala Bonanjo d’avoir violé l’article 34 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage du 11 mars 1999 (AUA) ensemble les articles 1 et 4 de la Convention des Nations Unies pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, en ce que elle a dit non fondée la demande d’exequatur de la sentence rendue le 15 mai 2012 par la Cour internationale de la Chambre de commerce internationale de Paris, alors que, selon elle, celle-ci ayant été rendue sur le fondement des règles autres que celles prévues par l’Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage, du 11 mars 1999 (AUA), c’est la Convention des Nations Unies susmentionnée dûment ratifiée par le Cameroun, qui était applicable et ce, conformément à l’article 34 précité.
 
Cette affaire soulève le problème juridique suivant : quelles sont les règles applicables lorsque la sentence arbitrale dont l’exequatur est demandé a été rendue sur le fondement des règles autres que celles prévues par l’AUA ?
 
Sur le fondement de l’article 34 de l’AUA, la CCJA casse l’ordonnance querellée en ces termes : « la sentence arbitrale dont l’exequatur était demandé au juge ayant été rendue sur le fondement des règles autres que celles prévues par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, la France comme le Cameroun étant liés par la convention des Nations Unies pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, c’est cette convention qui est applicable à cette procédure d’exequatur ».
 
L’article 34 de l’AUA dispose que : « les sentences arbitrales rendues sur le fondement des règles différentes de celles prévues par le présent Acte uniforme sont reconnues dans les États-parties, dans les conditions prévues par les conventions internationales éventuellement applicables, et à défaut, dans les mêmes conditions que celles prévues aux dispositions du présent Acte uniforme ».
 
Cette disposition prévoit un principe et une exception. Le principe est l’application des « conventions internationales éventuellement applicables » et l’exception, l’application par défaut de l’AUA.
 
Dans l’arrêt commenté, il s’agissait de l’application du principe, puisqu’il existait deux « conventions internationales éventuellement applicables » : l’Accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République unie du Cameroun et la Convention des Nations Unies pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Laquelle de ces deux conventions était effectivement applicable ? C’est là où résidait toute la difficulté de l’affaire.
 
L’ordonnance querellée s’était fondée sur les dispositions de l’article 34 de l’Accord de coopération en matière de justice, entre la République française et la République unie du Cameroun, qui conditionne la reconnaissance des décisions contentieuses ou gracieuses rendues en matière civile, sociale ou commerciale par les juridictions siégeant sur les territoires des deux États, à l’épuisement des voies de recours et avait retenu qu’ « il n’a pas été produit le moindre certificat attestant que la sentence querellée était définitive et n’était plus susceptible d’appel devant la cour d’appel compétente conformément à l’article 1504 du Code de procédure civile français » ;
 
Quant à la CCJA, elle trouva cette interprétation erronée. Elle se fonda sur l’article 41 de l’Accord de coopération précité et l’article 28, alinéa 6, du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale. L’article 41 dispose : « les sentences arbitrales rendues dans l’un des deux États sont reconnues dans l’autre État et peuvent y être exécutoires si elles satisfont aux conditions des articles 34 et 35 pour autant que ces conditions soient applicables. L’exequatur est accordé dans les formes fixées aux articles qui précèdent ». Dans cette affaire, la condition concernée est celle prévue par l’article 34.c), c’est-à-dire lorsque « La décision, d’après la loi de l’État où elle a été rendue, ne peut plus faire l’objet d’un recours ordinaire ou d’un pourvoi en cassation ». Quant à l’article 28, alinéa 6, il dispose que : « toute sentence revêt un caractère obligatoire pour les parties par leur soumission de leur différend au présent règlement, les parties s’engagent à exécuter sans délai la sentence à intervenir, et sont réputées avoir renoncé à toutes voies de recours auxquelles elles peuvent valablement renoncer ». La CCJA en a conclu que l’Accord de coopération précité n’était pas applicable en l’espèce.
 
Ce raisonnement ne montre pas pourquoi c’est la convention des Nations Unies pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (http://www.uncitral.org/pdf/french/texts/arbitration/NY-conv/New-York-Convention-F.pdf) qui s’applique et non l’Accord de coopération en matière de justice, entre la République unie du Cameroun et la République française (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/eci_conv_cameroun.pdf). Tout au plus, il permet de se rendre compte, en vertu de l’article 28, alinéa 6, précité, qu’il n’était pas nécessaire, en l’espèce, de produire un certificat attestant que la sentence querellée était définitive et n’était plus susceptible d’appel. 
 
Contrairement, à ce que soutient la CCJA, il n’est pas sûr, en l’espèce, que la convention des Nations Unies précitée soit applicable. En effet, l’article VII, alinéa 1er, de cette convention dispose que : « Les dispositions de la présente Convention ne portent pas atteinte à la validité des accords multilatéraux ou bilatéraux conclus par les États contractants en matière de reconnaissance et d’exécution de sentences arbitrales et ne privent aucune partie intéressée du droit qu’elle pourrait avoir de se prévaloir d’une sentence arbitrale de la manière et dans la mesure admises par la législation ou les traités du pays où la sentence est invoquée. ». En outre, la CNUDCI, recommanda, en sa trente-neuvième session, le 7 juillet 2006 que : « le paragraphe 1 de l’article VII de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères conclue à New York, le 10 juin 1958, soit appliqué pour permettre à toute partie intéressée de se prévaloir des droits qu’elle pourrait avoir, en vertu de la législation ou des traités du pays où une convention d’arbitrage est invoquée, de demander que soit reconnue la validité de cette convention ».
 
En revanche, la convention des Nations Unies précitée est applicable si l’État où la sentence a été rendue et l’État partie de l’OHADA où la sentence est invoquée sont liés par cette convention et qu’aucune autre convention ne les lie ou n’est invoquée comme dans l’affaire Société VODACOM International Limited C/ Société Congolese Wireless Network SPRL (CCJA, 2e ch., 26 janv. 2017, n° 003/2017, http://biblio.ohada.org/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=2076).
 
Dans cette affaire, la CCJA se prononça en ces termes : « Attendu donc qu’il appert que l’exequatur des sentences arbitrales rendues dans les États tiers à l’OHADA s’opère selon les conventions internationales si l’État où la sentence a été rendue et l’État partie où la sentence est invoquée sont liés en ce domaine ; qu’en l’espèce la Belgique (pays où la sentence a été rendue) et la République démocratique du Congo (pays de l’exécution) sont liées par des conventions internationales notamment celle de New York en date du 10 juin 1958 ; que c’est donc à tort que le président du tribunal a fait application de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage ; qu’il echet de casser l’ordonnance querellée et dire que les parties seront remises au même et semblable état où elles étaient avant ladite ordonnance ».
 
La portée de l’arrêt commenté reste d’actualité sous l’empire du nouvel acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage du 23 novembre 2017, l’article 34 de l’AUA étant resté sans changement dans le fond.
 
 
 
Source : Actualités du droit