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Baux à usage professionnel : précision supplémentaire relative au congé pour démolir et reconstruire

Afrique - Ohada
13/09/2017
Le bailleur peut à tout moment du contrat et non pas uniquement lors de sa date de renouvellement, donner congé au preneur en se prévalant de justes motifs, et dans ce cas, il ne s’expose pas au paiement d’une indemnité d’éviction au profit du preneur. L'analyse de Pr Bréhima KAMÉNA, agrégé des facultés de droit, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), Directeur du Groupe de recherches appliquées antenne Lascaux (GRAAL).
Dans cette affaire, la SCI Business center a, par acte notarié du 20 mai 2008, renouvelé par un avenant du 16 mai 2011, donné à bail à usage professionnel à Monsieur E. C. N. un local sis dans la galerie Cap Sud 3 à Abidjan. Après le renouvellement tacite dudit bail le 1er juin 2014, pour une durée de trois ans prenant fin le 1er juin 2017, le bailleur a servi au preneur, par exploit daté du 3 février 2016, un congé pour démolir et reconstruire les lieux loués. Le congé indiquait la nature des travaux envisagés. Cependant, le preneur par exploit du 14 mars 2016 contesta ce congé en assignant le bailleur en justice par exploit du 21 mars 2016. Ce dernier, à son tour, assigna le preneur en référé afin d’obtenir son expulsion. Par ordonnance du 5 avril 2016, n’ayant fait l’objet d’aucun recours, le juge des référés ordonna l’expulsion de Monsieur E. C. N. En outre, par jugement n° 289/2016 du 23 juin 2016, rendu en premier et dernier ressort, le tribunal de commerce d’Abidjan l’a déclaré mal fondé en son action en paiement d’une indemnité d’éviction et des dommages et intérêts pour son expulsion et l’en a débouté. Monsieur E.C.N. saisît alors la CCJA.

Le requérant reprochait au jugement querellé la violation des articles 126, alinéa 1er, et 127, alinéa 2 et 3, 123, 124 et 125 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général du 15 décembre 2010 (AUDCG), alors que, selon lui, lorsque deux parties sont liées par un contrat de bail à durée déterminée régulièrement renouvelé, un terme ne peut être mis à un tel contrat sans que le bailleur ne paie au preneur une indemnité d’éviction Le requérant reprochait également au jugement critiqué le non-respect du délai de congé en violation de l’article 125 dudit Acte uniforme ayant abouti à son expulsion par l’intervention du juge des référés avant l’expiration du délai de six mois qui lui a été accordé. 

L’arrêt commenté soulève le problème juridique suivant : à quel moment le bailleur peut-il, en se prévalant de justes motifs, donner un congé pour démolir et reconstruire l’immeuble comprenant les lieux loués sans s’exposer au paiement d’une indemnité d’éviction au profit du preneur ?

Après avoir rappelé les dispositions de l’article 127 de l’AUDCG, la CCJA rejeta le pourvoi principalement en ces termes : « le tribunal (…) a justement conclu que (…) le bailleur peut à tout moment dudit contrat et non pas uniquement lors de sa date de renouvellement, donner congé au preneur en se prévalant de justes motifs, et dans ce cas, il ne s’expose pas au paiement d’une indemnité d’éviction au profit du preneur ».
Aux termes de l’article 127 de l’AUDCG, « Le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, sans avoir à régler d’indemnité d’éviction, dans les cas suivants : (…) 2°) s’il envisage de démolir l’immeuble comprenant les lieux loués, et de le reconstruire. Le bailleur doit dans ce cas justifier de la nature et de la description des travaux projetés (…) ».

En l’espèce, aux fins de reconstruction et de réhabilitation du local objet du bail, la SCI Business center avait servi à M. A.C.N., en application de la disposition de l’article 127 précitée, un exploit de congé contenant le descriptif et la nature des travaux envisagés. En outre, les locaux reconstruits avaient la même destination que ceux démolis et à l’issue des travaux, suivant procès-verbal de remise de lettre dressé par huissier de justice le 24 novembre 2016, versé au dossier, le bailleur avait fait une offre de réintégration dans un magasin d’une superficie identique à celle initialement occupée.
Lorsque toutes ces conditions sont remplies, le congé servi est valable comme le montre la jurisprudence de la CCJA (sur l’obligation de justifier le congé pour démolir et reconstruire, v. notamment CCJA, 2e ch., 9 mars 2017, n° 035/2017, L'Essentiel Droits africains des affaires, 1er juil. 2017, n° 7, p. 3, obs. Kaména B. ; CCJA, 2e ch., 19 mai 2016, n° 091/2016 ; CCJA, 2e ch., 22 oct. 2015, n° 111/2015 ; sur la nature de la démolition entreprise, v. CCJA, 3e ch., 28 avril 2016, n° 086/2016 ; sur la sanction de l'imprécision des travaux à entreprendre par le bailleur, v. CCJA, 1re ch., 18 mai 2017, n°125/2017 ; ces arrêts sont disponibles sur le site http://biblio.ohada.org/pmb/opac_css/index.php?&lvl=categ_see&id=7107).

Par ailleurs, les dispositions de l’article 125 de l’AUDCG, dont la violation était aussi alléguée, régissent la durée du congé dans le cas d’un bail à durée indéterminée et n’avaient pas vocation à s’appliquer au bail de l’espèce qui était un bail à durée déterminée.

Enfin, le congé servi étant parfaitement valable et l’expulsion du preneur ayant été ordonnée par une décision de justice non remise en cause, la demande de dommages et intérêts du requérant, en l’absence de preuve de la faute commise par la défenderesse, ne pouvait prospérer.

Ainsi, l’arrêt commenté emporte entièrement la conviction. Il complète utilement la jurisprudence existante en apportant la précision supplémentaire selon laquelle le bailleur peut, à tout moment du contrat, donner un congé pour démolir et reconstruire l’immeuble comprenant les lieux loués.
 
 
 
Source : Actualités du droit