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Quelle réglementation pour la tontine dans l’espace OHADA ?

Afrique - Ohada
29/06/2017
Le financement constitue le fondement des activités économiques. Dans l’informel, il repose sur des mécanismes de microfinance très élaborés. La « tontine » est l’un des plus connus et c’est l’un outil de financement très actif dans l’espace OHADA. L'analye de Sylvie Bissaloue, docteur en droit privé, ATER à l’IUT Lyon III.
Un système d’entraide à trois formes
Appelée en bambara « Pari », elle se définit comme une association collective d’épargne réunissant des épargnants pour investir en commun dans un actif financier ou un bien dont la propriété revient à une partie seulement des souscripteurs. Elle attire toutes catégories socioprofessionnelles et tous genres, mais reste la banque favorite des femmes.
Outil commercial très actif en Afrique, la tontine est également une technique de microfinance connue sur le continent sous trois formes : la tontine mutuelle, la tontine financière et tontine commerciale. La tontine mutualiste est la plus connue. À fréquence mensuelle, ces adhérents se cotisent une somme d’argent d’un montant identique pour tous. Les gains collectés sont ensuite attribués à l’un d’eux dans un ordre de passage tiré au sort.
Cette tontine peut également prendre la forme de systèmes de financement décentralisés villageois autogérés ou Caisses faîtières. Au Sénégal, la mutuelle solidarité ou MUSO est un groupement constitué par affinité, dans le but de prêter des fonds d’urgence aux personnes dans le besoin. Trois caisses sont mises à la disposition de ces membres : une caisse verte propre aux cotisations communes et répartie à chaque échéance ; une caisse rouge propre aux urgences (accident, maladie, incendie, etc.) et une caisse bleue, dite caisse de solidarité qui conserve également les dons anonymes.
Mutuelle tournante, la tontine peut également devenir financière. C’est le cas lorsque les fonds collectés sont prêtés aux membres à un taux d’intérêt fixé ou résultant d’une mise aux enchères. Dans ce dernier cas, l’emprunteur est celui qui offre le taux d’intérêt le plus élevé (v. Lelart M., L'épargne informelle en Afrique. Les tontines béninoises, Tiers-Monde, 1989,  volume 30,  n° 18  p. 271).
Enfin, la tontine commerciale, la moins connue est la troisième forme de tontine. Le procédé est simple : une personne propose à des personnes de son entourage de lui confier une somme d’argent. Il s’engage à rembourser chacun d’eux au bout d’un certain temps et après un certain nombre de versements. Généralement, l’intéressé passe chaque soir de maison en maison récupérer de petits montant, souvent l’équivalent d’un euro par prêteur.  

Un outil de financement du secteur informel
L’informel occupe une place importance dans les économies africaines. Il désigne toutes les activités économiques spontanées, entreprises en dehors des exigences légales et échappant aux mécanismes de contrôle et de régulation de l’État (Komi Djade, L’économie informelle en Afrique subsaharienne, Harmattan, 2011, p. 13). En 2000, la part du secteur en Afrique subsaharienne s'élevait à 54,7 % du Produit intérieur 13 et à 23,7 % (hors agriculture) dans le PIB (Charmes J., The Contribution of Informal Sector to GDP in Developing Countries : Assessment, Estimates, Methods, Orientations for the Future, OECD-EUROSTAT-State Statistical Committee of the Russian Federation, Non-observed economy Workshop, Sochi (Russia) 16-20 October 2000, p. 14). Il se compose essentiellement de petites activités et entreprises rémunératrices, souvent individuelles ou familiales. Elles sont réalisées dans les périphéries urbaines ou les zones défavorisées par des acteurs eux-mêmes démunis qui s’efforcent par ce biais de survivre au chômage et à la misère sociale. Les difficultés d’accès au système bancaire justifient le rôle important et toujours croissant que jouent les circuits financiers dans ce secteur. La tontine permettra de financer des opérations qui par nature, ne sont pas « bancables ».
La tontine est au centre de ces financements. Elle est ainsi régulièrement employée dans le financement de petit commerce, l’artisanat, la transformation des produits agricoles, la production agricole, l’élevage, les équipements collectifs : salle de réunion, mosquée, école, dispensaire, magasin… Elle servira à la consommation des ménages. Système d’entraide très répandu sur le continent et même au sein de la diaspora africaine, elle permet de remédier à l’absence ou l’impossibilité d’ouvrir un compte en banque (v. http://www.lexpress.fr/informations/tontine-la-banque-a-l-africaine_646919.html).
La tontine offre également aux acteurs du secteur une sécurité financière. En effet, le danger des activités « non bancables » est la sécurisation des recettes. Généralement, c’est à domicile que celles-ci sont gardées. Quant aux recettes de la journée, les commerçantes du marché Azèkè (ville de Parakou, située au nord du Bénin) ont, par exemple, pour usage de les ranger dans une pochette attachée autour de la taille, dissimulant le tout par le traditionnel pagne noué pardessus la taille (le pagne est une forme de paré haut conçu en tissus Wax et faisant office de vêtement féminin traditionnel). Bien souvent, ces femmes versent, chaque mois, la majeure partie de leur pécule dans une tontine et minimisent ainsi les risques d’insécurité.
Épargne de tous réunie au profit d’une seule personne, la tontine est aussi un crédit remboursable à chaque cotisation. La régularité des versements est ressentie par chaque membre comme une obligation forte à laquelle il ne peut se soustraire (v. Lelart M., op. cit.). La durée des échéances sera fonction du nombre de membres. À raison d’un bénéficiaire par échéance, pour un groupe de six membres, la durée du cycle sera de six mois. L’attribution des sommes collectées étant successive, le tontiné qui refuse de cotiser à son tour pour l’attribution des gains aux autres non seulement devra rembourser les sommes perçues, mais en plus « engage son honneur ».
Outil de financement des activités informelles, la tontine au sein de l’OHADA, relève elle-même de ce secteur. Cette particularité est due à l’absence de règlementation. En effet, malgré son importance, aucun instrument juridique la règlementant n’a encore été mis en place par les États. Des initiatives isolées existent cependant dans quelques États. Ainsi, au Cameroun en 1963 a été créée la Cameroun Coopérative Crédit Union League qui fonctionne à l’image de la Grameen bank créée en 1983 au Bangladesh.

L’utilité d’un acte uniforme monétaire et financier dans l’OHADA
 La règlementation monétaire et financière issue de l’UEMOA, la CEMAC et la CEDEAO a jusque-là, servi d’argument pour écarter l’idée d’un acte uniforme sur le droit monétaire financière. Mais l’expérience montre que l’adoption d’un tel acte ne doit pas faire craindre un problème d’articulation. En effet, l’adoption du SYSCOHADA (Système comptable OHADA) à la suite du SYSCOA (Système comptable ouest africain) qui s’appliquait déjà aux huit États de l’OHADA également membres de l’UEMOA, a permis d’étendre ces règles comptables aux autres États de l’OHADA non membres de l’UEMOA.
La tontine a des répercussions positives sur l’économie des États : elle encourage l’entreprenariat, augmente les revenus des acteurs et évite la dépendance aux dons ou aux usuriers locaux. Qu’elle se fasse par le biais de l’OHADA ou des organisations régionales concurrente (UEMOA, CEMAC et CEDEAO), sa réglementation devrait permettre de faciliter la constitution et la gestion des groupements, d’offrir des garanties solidaires à leurs membres et de surtout, de contrôler le flux financier généré par elle.
La règlementation du système de tontine devrait aussi permettre d’élargir l’assiette fiscale de l’État. À titre comparatif, en France, est aussi reconnu sous trois formes : la « tontine immobilière », la « tontine financière » et l’ « association tontinière ». Son avantage majeur avait toujours été d’échapper à l’impôt. Mais, l’article 754-A du Code général des impôts, issu de la loi de finances n° 80-30 du 18 janvier 1980 (JO 19 janv.) et modifié par la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 (JO 31 déc.), prévoit dorénavant que les biens recueillis en vertu d'un tel contrat seront réputés transmis à titre gratuit et le survivant sera redevable de l'impôt payé sur les donations. Exception est faite cependant pour l'habitation principale commune aux deux acquéreurs d’une valeur inférieure à 76. 000 euros.
Encore appelée « Clause d'accroissement » ou « Pacte tontinier », le contrat de tontine devrait ainsi permettre aux époux de maintenir la succession hors du champ de l’ISF. L’époux dont le conjoint aurait eu des enfants d’un premier mariage et qui craint d’être ruiné au décès de ce dernier trouve également là une parade. Il lui suffit d’investir dans la maison commune et de prévoir un pacte tontinier. Il n’aura jamais à déclarer au fisc la nouvelle valeur de son bien ou des parts de sa tontine. De même qu’il anticipe sur l’éventualité d’un conflit de succession.
Si l’assujettissement de l’informel à l’impôt, qui est l’un des défis majeurs de l’OHADA, trouve ainsi à s’accomplir par le biais de cette règlementation souhaitée, pour autant, on pourrait s’interroger sur l’opportunité d’un prélèvement fiscal sur la tontine. En effet, la tontine constitue à la fois une épargne et un crédit. Or l’un et l’autre échappent à l’impôt. Comment expliquer que la tontine y soit soumise ? Sans compter que comme l’épargne, la tontine représente une partie du revenu déjà taxé à la base. Une seconde taxation serait illogique.
 
Source : Actualités du droit